« Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à tout, il ne peut pas être mon disciple ! » Nous voilà prévenus : si nous voulons aimer Jésus et le suivre, il est indispensable que nous acceptions qu’il bouscule notre vie ! Car notre foi n’est pas qu’un décor. Elle doit régir toute notre vie. Quand Jésus aime, il renonce à tout par amour et il dit à l’homme « Il n’y a que toi qui comptes pour moi »
Prédication du père Louis Groslambert pour le vingt-troisième dimanche du temps ordinaire
Frères et sœurs, vous priez en disant : « Notre Père qui es aux cieux ». Il est évident qu’en disant « aux cieux », vous ne localisez pas Dieu dans l’atmosphère ou la stratosphère. En disant que le Père est « aux cieux », vous dites qu’il n’est pas comme nous, qu’il ne pense pas comme nous, qu’il ne pratique pas la justice comme nous… qu’il est au-dessus de nos enfantillages et de nos calculs…. Et vous avez raison d’éviter tout ce qui suggérerait que Dieu est à notre image ; en effet, heureusement que Dieu n’est pas rancunier, colérique ou punissant comme nous ; si c’était le cas, il n’y aurait aucun salut. Et, parce que Dieu ne pense pas comme nous, il est essentiel d’accepter que la Parole de Dieu exprime tout autre chose que le bon sens humain…
Dieu est tout autre que nous ; alors comment est-il ? On le pressent lorsqu’on voit les comportements que le Saint Esprit suggère. Avez-vous entendu le comportement que saint Paul demande à un chrétien façonné par le droit romain ? La loi prévoyait qu’un propriétaire d’esclave avait droit de mettre à mort un esclave infidèle ou malveillant. Philémon pouvait donc châtier à mort son esclave qui s’était enfui avec la caisse de son maître. Eh bien Paul écrit à Philémon, qui est baptisé ; il lui dit que son esclave fautif est désormais baptisé et qu’il serait logique que Philémon ne le punisse pas selon la loi civile, mais l’accueille comme un frère bien aimé. D’après cette histoire, on voit que Dieu n’agit pas selon nos lois humaines ; il est « au cieux » ; étant au-dessus de nos réflexes. De ce fait, il ouvre un avenir aux hommes, il offre une espérance, un salut… Dieu invite à faire ce à quoi les lois humaines n’invitent pas : au lieu de punir, il pardonne… Frères et sœurs, vous avez connu Dieu chaque fois qu’au lieu de penser et d’agir selon les critères humains, vous avez écouté les suggestions du Saint Esprit ; vous avez connu Dieu chaque fois que vous avez obéi aux appels de l’amour.
La première lecture enseignait que Dieu est aux cieux, au-dessus de nos principes. La supériorité de Dieu, tous les croyants l’admettent. Mais voilà que Jésus, l’homme de Nazareth, se présente comme étant lui-même au-dessus de tout, plus précieux, plus déterminant que les personnes les plus précieuses que sont notre père et notre mère, notre conjoint et nos enfants, et plus sage que nos principes et nos habitudes. C’est cette supériorité de Jésus sur les lois que saint Paul énonçait à Philémon quand il lui disait en substance : « tu as le droit de punir ton esclave indélicat ; mais puisque Jésus aime ton esclave au point de mourir pour lui, tu serais un vrai disciple de Jésus si tu renonçais aux droits que te donnent les hommes et si, au lieu de punir ton esclave, tu l’accueillais comme un frère ».
« Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à tout, il ne peut pas être mon disciple ! » Frères et sœurs, nous voilà prévenus : si nous voulons aimer Jésus et le suivre un peu mieux, il est indispensable que nous acceptions qu’il bouscule notre vie ! Car notre foi n’est pas qu’un décor. Elle doit régir toute notre vie. En fait nous commencerions d’être chrétiens si avant de faire un choix, nous nous demandions « que ferait Jésus à ma place, puisqu’il est plus sage que mes principes humains ? ». Le gouverneur qui a un projet doit vérifier si ses finances lui permettent d’assurer la dépense (c’est le défi de tous les premiers ministres) ; de la même manière, le disciple qui veut suivre Jésus un peu mieux doit vérifier s’il met bien Jésus au-dessus de tout.
Dans le monde, les chances de réussir sont augmentées quand on a des atouts, de l’argent, des moyens impressionnants ; dans le royaume de Dieu, au contraire, les chances de réussir sont augmentées quand on sait assez la vanité de nos moyens humains pour nous fier aux dons de Dieu. Ainsi, nous avons à construire avec les frères un royaume de justice et de fraternité. Or, si je m’assois pour évaluer si mes astuces, mes équipements informatiques, et mes vertus suffisent pour faire que les pécheurs soient moins pécheurs, je vais conclure que mes moyens humains sont ridiculement insuffisants. C’est que l’œuvre missionnaire ne dépend pas d’abord de moi, mais d’abord de Dieu. Paul faisait le même constat : ayant fait la liste de tous ses titres, il écrit : « c’est quand je suis faible que je suis fort ». ( 2 Co 12,10) Oui, frères et sœurs, vous êtes forts quand vous n’avez que votre modeste écoute fraternelle, votre silencieuse présence près du malade, votre fervente prière à Dieu ; vous êtes forts parce que vous vous appuyez sur la force de Dieu et non pas sur vos forces. Quand Jésus a pris la croix, il a renoncé à tout pouvoir ; pour être constructeur du royaume de Dieu, il faut renoncer à tout pouvoir.
Jésus a raison de prendre aussi l’exemple du roi qui part en guerre. Parce qu’être chrétien c’est partir en guerre contre ce qui est préconisé par le monde sans Dieu ; être chrétien, c’est partir en guerre contre l’esprit qui s’accommode d’injustices, contre le chacun pour soi, contre l’esprit raciste, contre ce dogme selon lequel il faut posséder… et partir en guerre même contre soi-même, contre la volonté de préserver son bon droit, ses avantages. Quand Jésus a pris la croix, il est parti en guerre contre tout cela ; pour être disciple de Jésus, il faut aller à contre-courant et donc renoncer à s’appuyer sur des sécurités terrestres.
Quand Jésus aime, il renonce à tout par amour et il dit à l’homme « Il n’y a que toi qui comptes pour moi » ; puissions-nous renoncer à tout par amour et lui répondre : « il n’y a que toi qui comptes pour moi »