Entre deux hommes que nous rencontrons dans l’Évangile de ce dimanche, lequel est le plus à plaindre ? Le rédacteur de la parabole suggère sa réponse : le riche puisqu’il n’a même pas de nom, qu’il n’accède pas au ciel et qu’il ne peut compter sur aucun avocat ; tandis que le pauvre a un nom – Lazare, qui signifie « Celui que Dieu aide ». Le malheur du riche de la parabole vient de ce qu’il ne voit rien d’autre que son confort et qu’il n’a pas utilisé son argent pour créer de l’amitié et de la communion. Qu’est que cela implique pour notre vie chrétienne et missionnaire ?
Prédication du père Louis Groslambert pour le vingt-sixième dimanche du temps ordinaire
Avant tout, permettez que je vous mette en garde : cette parabole ne dit pas que dans l’au-delà, ceux qui sont actuellement heureux ne le seront plus et que ceux qui sont actuellement malheureux seront heureux. Quand Dieu sauve, il ne fait pas qu’inverser les rôles, en disant « à chacun son tour d’être heureux », « à chacun son tour d’être malheureux ».
En deuxième lieu, je rappelle l’évangile de dimanche dernier où le problème du gérant licencié était d’avoir des amis. Eh bien, vous notez que le malheur du riche de la parabole vient de ce qu’il ne voit rien d’autre que son confort et qu’il a utilisé son argent, non pas pour créer de l’amitié et de la communion, mais pour tenir orgueilleusement son rang dans les cercles du pouvoir en ayant des vêtements pourpre en lin fin et pour manger chaque jour des festins somptueux … alors que le bonheur de Lazare, c’est qu’après avoir été seul, il a désormais tous les amis d’Abraham. L’enfer, c’est la solitude, et avoir des amis, c’est le salut … et la manière d’y parvenir, c’est vivre une communion, un regard sur les autres, un partage.
Maintenant, je vous interroge : Voilà deux hommes : à votre avis, lequel est vraiment à plaindre ? Le rédacteur de la parabole suggère sa réponse par des indices : il dit que celui qui est à plaindre c’est le riche puisqu’il n’a même pas de nom, qu’il n’accède pas au ciel et qu’il ne peut compter sur aucun avocat ; tandis que celui qui possède la vraie richesse, c’est le pauvre parce qu’il a un nom – Lazare, qui signifie « Celui que Dieu aide » (il a Dieu pour avocat !)– et qu’il est reçu chez Abraham. Êtes-vous d’accord avec la parabole pour dire que le riche est d’une affligeante pauvreté, et que le vrai riche, c’est Lazare ?
Le riche n’avait pas entendu l’admonestation du prophète Amos à ceux qui ne s’occupent que de leur confort et ne se tourmentent pas du sort de leurs concitoyens. « Malheur à ceux qui vivent bien tranquilles et se croient en sécurité : couchés sur des lits d’ivoire… se frottant avec des parfums de luxe, ne se tourmentant guère du désastre d’Israël ». Oui, ils sont malheureux parce que, en usant de leur bien de manière égoïste, ils ferment devant eux la porte du paradis, la porte de la communion !
Hélas, cette vieille parabole décrit notre actualité : aujourd’hui, les pauvres – comme Lazare – sont légion ; des peuples meurent de faim à côté de pays nantis. Et le quart monde existe chez nous. Nous savons que, comme Lazare qui aurait aimé manger seulement les miettes, des migrants affrontent des dangers mortels pour s’approcher des lieux où il y a non seulement des miettes mais du gaspillage de nourriture. Nous sommes conscients qu’avec leur orgueil et leurs systèmes économiques, les hommes ont créé un abîme entre ceux qui ont accès aux écoles, aux soins médicaux, aux transports, au travail, aux magasins débordants et aux frigos garnis… et ceux qui n’ont rien de tout cela… Pire, certains voudraient même augmenter cet abîme. Celui qui accepte sans problème cette séparation se rend responsable de créer un abîme qui l’empêche d’accéder au paradis.
Frères et sœurs, même si nous n’avons pas été cruels envers les autres, même si nous n’avons ni tué ni volé… tant que nous ne nous occupons que de nous et que nous ne sommes pas bouleversés par les conditions de vie des pauvres, nous ne sommes en phase ni avec Dieu, ni avec notre dignité humaine. Le riche n’avait été ni pédophile, ni adultère, ni magouilleur, il n’a pas chassé Lazare hors de sa maison… mais il l’a ignoré. Il était riche en propriété mais pauvre en amour. Le bien-être peut donc rendre aveugle ; et on peut passer pour un homme bien et être tout à fait en dehors du royaume de Dieu, parce qu’on ne voit pas les autres.
Tous les prophètes ont enseigné – et enseignent encore – que la vraie religion implique le comportement fraternel. Les prophètes enseignent que l’homme n’a pas de dignité s’il n’a pas le souci des pauvres. C’est pourquoi Jésus nous dit d’écouter Moïse et les prophètes.
Ce que disent Moïse et les prophètes, ça doit nous rentrer dans la tête : il faut que nous comprenions que l’évangile n’est pas à part de la vie sociale ; que c’est rendre un culte à Dieu que de se soucier des réalités sociales – des injustices, de la migration – au nom de la foi. Ce que disent Moïse et Jésus et les prophètes doit nous rentrer dans le cœur. Comment n’être pas bouleversés par le comportement de Jésus : lui, il s’est fait pauvre, il a épousé les problèmes des hommes et s’est dépouillé de son statut divin pour nous donner tout.
Enfin le réquisitoire contre les idoles que prononce Moïse, Jésus et les prophètes, nous devrions l’avoir en permanence sur les lèvres, et dire comme saint Paul que « la racine de tous les maux c’est l’amour de l’argent », que la racine des injustices et des guerres… c’est la volonté de posséder le pétrole, les céréales, les richesses minières… c’est l’amour de l’argent.
Dernière réflexion : « même si un mort ressuscitait, ils ne seraient pas convaincus ». Cette parole est vérifiée : Bien des gens (et même des gens qui célèbrent Pâques) ne modifient en rien leur vie à cause de la résurrection de Jésus et donc ne donnent envie à personne de croire à l’amour plutôt qu’aux bien matériels. En revanche, ce qui peut être convaincant et conduire des gens à changer leur vie, c’est la fraternité que nous pourrions avoir entre nous, l’attention fraternelle que nous offrons aux autres… Soyons missionnaires en étant fraternels, en comblant les abimes qui séparent les gens les uns des autres !