La dimension pastorale du chant liturgique

Le souci premier de l’auteur d’un chant liturgique doit être la fidélité à la foi de l’église et non d’abord d’exprimer ses sentiments personnels.

Proposer aux assemblées chrétiennes des mots et des notes pour leurs prières et leurs célébrations est redoutable. Les chants qu’ils s’approprieront accompliront en eux un double travail : exprimer leur foi et imprimer en eux des représentations (imagées et sonores) pour la mémoriser. Comment éviter de les induire par le chant dans des représentations fausses ou marginales par rapport à la foi de l’Église ?

Voici, ci-dessous, la conférence donnée par Michel Sournec, prêtre catholique, auteur-compositeur et écrivain français, à la Maison de la Conférence des Évêques de France en juin 2013.

Une responsabilité ecclésiale

Proposer aux assemblées chrétiennes des mots et des notes pour leurs prières et leurs célébrations est redoutable. Les chants qu’ils s’approprieront accompliront en eux un double travail : exprimer leur foi et imprimer en eux des représentations (imagées et sonores) pour la mémoriser. Comment éviter de les induire par le chant dans des représentations fausses ou marginales par rapport à la foi de l’Église ? Comment éviter qu’ils regrettent un jour d’avoir chanté tel ou tel chant, comme cela a été le cas pour certains chants d’avant le mouvement liturgique ? Une expression juste de la foi Le souci premier de l’auteur d’un chant liturgique doit être la fidélité à la foi de l’Église (termes d’adresse, dimension trinitaire, contenu de la prière etc.) et non d’abord d’exprimer ses sentiments personnels, ou les spiritualités particulières à telle communauté ou congrégation. En effet, tout chant est porteur de théologie et ne doit rien exclure du Credo de l’Église. On sait combien l’instrumentalisation du chant dans l’histoire de l’Église a pu façonner et entraîner des dérives en ce domaine, et des confusions entre le dévotionnel, l’idéologique et le théologique.

Un accord avec les actions et les temps liturgiques

Le chant liturgique se doit d’être en accord avec les actes et les temps liturgiques. Ce qui suppose un respect et une connaissance de la fonctionnalité des actions dans chaque célébration, et de la dynamique de la révélation des mystères chrétiens qui se déploie dans le temps liturgique et la prière des heures. Ce qui suppose aussi de ne jamais perdre de vue la portée mystagogique tellement importante du chant dans la liturgie. Ce qui est chanté a comme responsabilité d’introduire ceux qui chantent dans l’intelligence d’un aspect du mystère de la foi. En ce sens, il prend part de manière importante à toute démarche d’initiation chrétienne.

À l’école constante des psaumes

Ils sont et doivent être une boussole pour les auteurs de chants, parce qu’ils sont chants d’humanité, face au mystère de Dieu, dans l’histoire de l’Alliance. Leurs joies, leurs cris, restent toujours référence nécessaire, du fait qu’ils ont été chantés par Jésus et choisis comme prière des Églises depuis des siècles. Leur écriture poétique ne quitte jamais la beauté et la grandeur de l’univers, la dimension tragique de la condition humaine, les combats prophétiques contre les forces du mal et la ténacité de l’espérance au cœur des pires épreuves et face aux injustices. Leur prière reste toujours terrienne et corporelle et ne s’évapore guère dans des sentimentalités doucereuses. Leur vocabulaire n’aime guère les substantifs abstraits mais préfère les verbes suggérant des actions, et ouvrant des espaces pour la louange et les œuvres de justice et de paix. La variété de leurs formes – hymnes, supplications, méditation, litanies, acclamations… – est source riche d’inspiration.

Des chants compréhensibles, mémorisables et chantables

Les critères de ces trois dimensions demanderaient de nombreuses observations. On peut noter à ce sujet que les auteurs et compositeurs sont toujours confrontés à une question décisive et sans réponse claire : celle de la réception de leurs œuvres. À quoi tiennent le choix ou le rejet d’un chant par une communauté, sa durée ? Cette question de la réception est majeure et décisive en bien des domaines de la vie de l’Église : documents conciliaires, encycliques, rituels liturgiques… Elle est peu prise en compte et pourtant, en dernière instance, de fait, ce sont toujours les assemblées qui ont raison ! C’est un lieu où s’exerce souvent le sensus fidei (sens de la foi) du peuple chrétien (Lumen Gentium, 12).

Une qualité littéraire et poétique

La langue française est belle et elle a ses exigences. Un texte destiné au chant se doit d’être musicalement beau. Qu’il soit agréable à prononcer, isométrique et isorythmique, respectant les règles élémentaires de la prosodie, des accentuations syllabiques récurrentes etc. Sur ce point le fait d’être moi-même musicien et mélodiste en français et en breton, et surtout de travailler en duo avec un compositeur a été majeur dans mon travail.
« De la musique en toute chose », écrivait Verlaine et il concluait ainsi son poème : « Que ton vers soit la bonne aventure éparse au vent crispé du matin Qui va fleurant la menthe et le thym… Et tout le reste est littérature. » « Chantez au Seigneur un chant nouveau » La nouveauté d’un chant réside peu dans son contenu. Tout a déjà été dit. Nous vivons dans une époque où l’on confond nouveau et inédit, souvent pour des raisons commerciales non avouées depuis que le chant liturgique est devenu lui aussi vendable et soumis aux logiques des produits à la mode et donc rapidement démodés ! Un chant ancien est systématiquement considéré comme dépassé alors que, pour ceux qui ne le connaissent pas, il pourrait être découvert comme nouveau. Ce qui peut avoir un caractère de nouveauté, c’est la manière, la forme pour le dire, une forme chantée et l’on savait bien avant Mac Luhan que la forme c’est aussi le fond. Saint François de Sales écrivait : « La forme, dit le philosophe donne l’être et l’âme à la chose. Dites merveilles, mais ne les dites pas bien, ce n’est rien : dites peu et dites bien, c’est beaucoup ». Se contenter de citations dans un chant peut relever de la facilité et n’apporte guère du neuf.

Il n’y a pas que le contenu de l’énoncé qui produise du sens chez ceux qui chantent. Il y a l’agencement des mots, le choc des images, la musique du texte et particulièrement des rimes, les balancements d’une métrique. Si l’auteur ne s’est pas longtemps battu avec les mots et les structures de son texte pour polir et travailler les formes, il y a peu de chance qu’il fasse œuvre de création et que son chant résiste à l’usure du temps. Tout au plus, il aura joué à l’arrangeur ou au pratiquant du psittacisme et l’on éprouvera à prendre connaissance de ce qu’il a produit, un sentiment de déjà entendu, de déjà dit, de rabâchage. Par contre, la trouvaille d’une métaphore neuve, inattendue, d’une structure bien construite qui progresse et se déploie va peut-être d’abord surprendre ou dérouter, mais donnera davantage à penser, ouvrira un nouvel espace et aura plus de chances de durer.

Un travail de passeur

Ce qu’écrivait Patrice de la Tour du Pin pourrait être considéré comme la charte de tout créateur de texte pour la liturgie :


« Je n’écris pas pour moi, mais pour une communauté d’hommes baptisés… il faut que cette communauté puisse chanter ce chant comme le sien… Je dois simplifier mon expression, mais veiller à ne pas tant satisfaire les goûts et les aspirations que le monde entretient pour lui- même, qu’à aider la Parole de Dieu à façonner les hommes. Si elle ne me façonne pas un peu, je n’ai rien à dire, parce que c’est cette façon, cette modification que je dois seulement dire. »

Patrice de la Tour du Pin


C’est bien un rapport à l’Écriture qui est à communiquer au peuple de la foi, une certaine trace, un certain écho qu’elle a fait exister dans le vivant qu’est celui qui écrit, et qui rejoint en lui d’autres échos, d’autres traces, laissés par l’histoire, l’environnement dont il est solidaire. En même temps, il est appelé de manière permanente à être son propre contemporain et celui du monde. Que faisons-nous d’autre dans nos hymnes que de chanter toujours les mêmes convictions, les mêmes joies et les mêmes détresses qui ont animé les croyants depuis des siècles ? Tout n’est-il pas déjà dit dans les Écritures ? Si nous nous contentons de faire œuvre de citation en repiquant çà et là quelques phrases ou quelques expressions, c’est un peu court. Le travail du créateur est de se laisser modeler, façonner par le matériau scripturaire, et de recueillir un jour, au détour d’une expérience d’homme et de croyant, le cri, la phrase, l’expression que ce matériau aura éveillés. Ils marqueront son chant. Ce n’est pas le texte qu’il a à dire, c’est la modification que le texte a opérée en lui, le passage qu’il lui a fait faire. Si la liturgie est un acte ludique, un jeu symbolique, métaphorique (au sens transitionnel du terme), qui plonge et replonge un groupe humain dans un parcours né du choc d’une rencontre, dans une succession de rapports et de situations, le chant est éminemment au service de ce jeu, toujours structuré comme un passage, comme une Pâque. Qu’il s’agisse de passer de la mort à la vie, de la nuit à la lumière, de la servitude à la liberté, on trouve la même structure, le même mouvement, les mêmes supports corporels : les yeux, les mains, le souffle, les oreilles, la marche. Il y a le temps de la nuit et celui de la lumière, le temps du contact et celui de la solitude, le temps du silence et celui de la parole. Le symbole fonctionne par couples. Le jour a besoin de la nuit, comme la nuit du jour. L’un sans l’autre ne saurait pas qu’il existe. Le moment privilégié pour le poète c’est celui où il surprend le passage de l’un à l’autre. Moment de désir et attente du veilleur.
Moment de deuil et de perte du nomade qui laisse ses rives familières et renaît à un regard nouveau, une vie nouvelle. C’est dans ces passages du désir et de la mort que naissent l’homme et le croyant, c’est dans l’entrechoc et le clair-obscur des deux qu’émerge la question du sens. Quand s’arrête la nuit, quand meurt le jour, quand s’éteint le souffle, quand s’immobilise le geste, s’ouvre la porte du mystère. Surgit alors le saisissement devant la présence de l’autre, l’émerveillement devant ce qu’on pressent mais qui dépasse, rebondissement vers une poursuite de la quête, invitation à quitter son pays…
Si l’auteur d’hymnes ou de textes liturgiques a un rôle poétique, c’est bien là qu’il se situe, dans ce travail sur le sens (face à quoi, pour quoi, pour qui), dans ce passage ou cet arrêt à faire exister le temps d’un « Pourquoi m’as-tu abandonné ? », d’un « Pourquoi l’homme ? », d’un « Réveille les sources de l’eau vive qui dorment dans nos cœurs !» ou d’un « II restera de toi ! », « Sur le seuil de sa maison notre Père t’attend »… Mais il ne suffit pas d’employer des mots, des images, encore faut-il longtemps se battre avec la langue pour que s’offre la trouvaille, se découvre la tournure et jaillisse la métaphore vive.

Rejoignez-nous

Inscrivez-vous à notre newsletter et recevez chaque semaine toute l'actualité catholique en Nord Franche-Comté

Je recherche